Mon tour du Queyras en 3 jours (GR58)
110km et 7800 mètres de dénivelé positif sur trois jours, je vous raconte mon aventure solitaire et ressourçante.
À la fin de chaque été, j’aime bien partir quelques jours tout seul pour faire le vide avant la rentrée.
Je me dis toujours que quand on a des enfants, les vacances d’été ne nous appartiennent plus vraiment.
On ne se repose pas, on ne fait pas forcément des choses qui nous plaisent, car on veut avant tout le bonheur de nos enfants, quitte à faire passer le notre au second plan.
Donc je me réserve toujours un temps égoïste, sans réseau et sans personne.
Au-delà du temps pour soi, ça permet aussi de faire le point sur toute la clairvoyance acquise pendant la coupure estivale.
Je trouve que c’est le meilleur moment pour savoir réellement ce qu’on veut dans notre vie et surtout ce qu’on ne veut plus.
Le fait de s’accorder quelques jours seul, permet de surfer sur cette vague qui a tendance à se retirer trop vite si on retourne tête baissée à notre “rat race” quotidienne.
Voilà comment je me suis retrouvé à prendre la direction des Alpes au milieu du mois de septembre.
Le projet
Le cahier des charges était simple : Faire quelque chose qui me plait, sans réseau et sans personne.
J’ai pas mis longtemps à me tourner vers la montagne, pour la simple et bonne raison que ma seconde option était de partir apprendre la voile en méditerranée.
Malheureusement, le mistral a naturellement exclu cette éventualité avec une météo qui annonçait des rafales de mistral à 90km/h sur les trois jours que j’avais à ma disposition pour ce break improvisé.
Donc ça sera la montagne et c’est très bien comme ça.
Il ne m’a pas fallu longtemps pour mettre le doigt sur cet itinéraire, tant son profil collait parfaitement avec mes contraintes logistiques.
À 3h de route de la maison, qui peut se faire sur 3 jours (On verra que c’était tendu) et dans une région qui propose une météo adaptée à la randonnée en itinérance.
Ça sera le GR58 “Tour du Queyras” dans les Alpes-de-Haute-Provence 05.
Une vallée que je n’avais jamais encore pratiquée et qui pourtant est assez réputée pour ce genre de périple.
Au départ de Ceillac ce GR est composé de 9 étapes, donc théoriquement 9 jours de randonnées.
Avec 110km et 7 800 mètres de dénivelé positif.
Mais il peut être raccourci si on double ou triple le nombre d’étapes que l’on fait chaque jour.
De mon côté j’ai décidé de le faire en 3 jours, donc en faisant 3 étapes par jour.
Bien entendu, avec un tel objectif, il faut partir avec très peu d’affaire pour pouvoir avancer plus vite que pour une randonnée « classique ».
Dans mon cas mon sac faisait moins de 2kg, j’ai pris le strict minimum.
C’est aussi l’intérêt de faire plusieurs étapes par jour : On n’a pas besoin de transporter beaucoup de nourriture, ni beaucoup d’eau, puisqu’on sait qu’on croisera au minimum 2 refuges dans la journée (En plus de celui qu’on quitte le matin et celui qu’on retrouve le soir).
Pour le découpage des étapes je me suis largement inspiré du blog “Run and write”, qui propose d’ailleurs un retour d’expérience beaucoup plus détaillé que le mien sur le plan logistique et parcours.
Je décide de partir la veille de mon premier jour, afin d’être sur place pour pouvoir démarrer très tôt le lendemain matin.
Donc me voilà parti pour 3 jours de rando / Trail en itinérance et en dormant chaque nuit en refuge / gite.
Premier objectif, le gite des baladins situé à Ceillac pour passer la nuit et partir tôt le lendemain.
Jour 1 : De Ceillac à L’Echalp
Distance : 37km
Dénivelé + : 2700
Pour cette première journée, le réveil est un peu difficile.
C’est toujours comme ça pour ma part, avec l’appréhension du départ, le fait d’être dans un nouvel endroit et de dormir dans le même dortoir que des inconnus, les nuits ne sont jamais de longs fleuves tranquilles.
Sans compter sur les températures qui ont brutalement chuté dans toute la France et en quelques jours seulement.
Quand je mets le nez dehors après avoir avalé un petit dej typique de gite de montagne, je me souviens rapidement de ce que ça fait -3° à 6h du matin, seulement 30 minutes après le réveil.
Malgré le peu d’affaire que j’ai dans mon sac, j’arrive quand même à me couvrir suffisamment pour ne pas ressentir le froid.
Les fameuses 3 couches de montagne, avec un t-shirt technique, une polaire respirante et un coupe-vent imperméable.
En gros, j’ai tout le contenu de mon sac sur le dos.
C’est comme ça que j’attaque cette première journée à 7h30 avec l’espoir de me réchauffer en marchant vite.
Les paysages sont magnifiques et j’avale la première montée sans trop de difficultés malgré les 1000 mètres de dénivelés sur seulement 7km.
Je suis en pleine forme et tous les compteurs sont au vert, malgré peut-être un choc un peu brutal entre la chaleur de mes poumons et l’air frais qui rentre à grand coup de respiration profonde pour m’aider à maintenir le rythme.
Ça me brule à chaque respiration et si je continue comme ça je risque de tomber malade à peine quelques heures après le départ. Je trouve une solution en mettant mon cache cou sur mon visage, ça a pour effet d’humilier et réchauffer l’air que j’inspire par la bouche, avant qu’il arrive dans les poumons ; parfait.
J’atteins le premier col en 2h à peine et je commence déjà à me dire qu’à ce rythme les étapes de 30km journalières vont se faire assez facilement.
Je ne le sais pas encore mais regretterai cette phrase dès le lendemain !
Une fois passé le col j’attaque la descente et je continue à être optimiste quant à la suite du séjour.
J’ai rarement pris autant de plaisir dans une descente.
Il faut dire que c’est le chemin idéal pour tout traileur qui se respecte, pas très technique et avec un pourcentage parfait pour pouvoir courir.
Je mets à peine 50 minutes pour redescendre les 800m de dénivelé qui me séparent du village de Saint-Véran.
Là, je commence vraiment à me dire que si c’est comme ça à chaque fois, je vais arriver tous les jours à 16h au dernier refuge… (Quel présomptueux je faisais).
Plus j’avance et plus le vent s’intensifie, les montées s’enchainent, les redescentes aussi.
Il faut savoir que le tour du Queyras, c’est pas très compliqué : On monte jusqu’à un col, on redescend et on trouve un gite de fin d’étape, souvent accompagné d’un petit village de montagne.
De mon côté j’ai donc trois ascensions et trois descentes à faire chaque jour.
C’est le deuxième col de la journée, le col d’Agnel, après une longue montée interminable en plein vent.
J’arrive au deuxième refuge de la journée sur les coups de 13 h 30, frigorifié par le vent et la descente.
Quel bonheur à chaque fois d’arriver dans un refuge chauffé quand la météo à l’extérieur devient hostile.
Rentrer, se faire proposer une paire de crocs, une tisane chaude et un coin près du poêle.
J’en profite pour avaler une omelette qu’on me propose malgré la fin du service du midi.
Cette pause me fait énormément de bien, car le moral a été un peu entamé par ce vent glacial et par la dernière descente qui a fait énormément de mal à mes articulations.
Je commence à ressentir des mauvaises douleurs aux tendons d’Achille et au-dessus de la rotule. Exactement celles que j’avais ressenties quelques années auparavant pour un GR20 en 5 jours.
Tout l’optimisme de la première descente s’est complètement effacé, laissant désormais place au doute et à la cogitation.
J’en suis au deux tiers du parcours et il me reste encore… une petite montée, un col et une longue descente.
Les deux magnifiques lacs croisés sur le chemin n’arriveront pas à me remonter le moral.
Je ne fais que penser à mes jambes et à l’éventualité de devoir arrêter prématurément cette aventure.
J’étais venu chercher de la résilience et du dépassement de soi, je suis servi.
Cette longue descente finira de me faire craindre le pire quant à l’état de mes jambes.
J’arrive “à genoux” au gite de l’Echalp qui sera ma destination finale pour cette première journée.
Heure d’arrivée, 16 h 30, pas si mal quand on compte mes petits bobos sur la dernière portion.
Le gite est plein à craquer, ce qui est loin d’être commun à cette période de l’année.
Mais les températures négatives de la veille ont poussé les randonneurs qui bivouaquaient à se rabattre vers les gites.
Je me retrouve dans un dortoir de douze personnes, donc autant dire que la nuit s’annonce épique.
Sur les douze il y en aura bien ou deux ronfleur ! Vive les dortoirs.
En revanche le gite est magnifique, tout en bois, grande cheminée ouverte et discussions informelles autour du feu.
Tout ce qu’on peut imaginer d’une soirée en montagne.
Je me retrouve à la table de quatre Allemands avec qui j’essaye tant bien que mal de discuter. Malgré la barrière de la langue et ma timidité naturelle qui n’arrange pas les choses, on arrive à échanger quelques phrases autour de nos périples respectifs.
Je comprends qu’il existe une variante sur le parcours du lendemain, qui est en fait le GR58 qui se divise en deux.
Deux options s’offrent aux randonneurs, soit par les crêtes, soit par la vallée en longeant un cours d’eau jusqu’au prochain village.
Donc en gros, la version dure ou la version facile.
Je me dis que je verrai en fonction de ma forme au réveil, pour savoir quelle option je choisis, mais avec l’état de mes jambes, ça peut être une bonne chose de raccourcir un peu la journée numéro deux qui est censée être la plus longue des trois jours avec plus de 40 km annoncés et 2750m de dénivelé positif.
Le repas est excellent, on sort de table à 20h et il est déjà temps pour moi de rejoindre mon lit pour tenter de récupérer le plus possible.
Bien entendu, je ne m’endors pas avant 23 h 30, exactement pour les mêmes raisons que la veille.
Serré dans mon sac à viande, dans une chambre de 12 personnes que je ne connais pas, il n’y aura pas de miracles non plus ce soir là. Je me dis qu’il faut vraiment que je trouve le moyen de me détendre pour réussir à dormir plus facilement dans ce genres de conditions.
Jour 2 : De L’Echalp à Souliers
7h du matin, je me réveille complètement amorphe avant tout le monde car le petit déjeuner n’est servi qu’à 7h30 (Ce qui est tard pour un gite de montagne).
Enfin, je pense me réveiller avant tout le monde, car je découvrirai un peu plus tard qu’un bon groupe est déjà parti, pour pouvoir faire deux étapes en une journée.
Ça m’inquiète un peu car je suis censé, une fois de plus, en faire trois…
Je me rassure en me disant que mon sac léger et que mon rythme va me permettre d’encaisser la journée malgré l’horaire tardif.
Le temps de finir le petit déjeuner, d’enfiler mes couches de vêtement pour affronter le froid, il est déjà 8h.
J’ai toujours ce dilemme entre la version allégée par la vallée et la version plus dure par les crêtes.
Je suis partagé entre le paysage magnifique que je vais trouver là-haut et mon départ tardif qui me pousse à raccourcir.
Mais je me mets en route et me dis que j’aurai encore quelques kilomètres avant de décider, car tout le début du parcours est identique quelle que soit l’option choisie.
Je fais à peine quelques mètres en sortant du refuge, que mes genoux me rappellent à leur bon souvenir. Je les avais presque oublié ceux-là.
J’ai mal des deux côtés, aux rotules et aux tendons d’achille.
Plus les mètres passent et plus mon choix s’impose comme une évidence, je vais prendre l’option courte pour tenter de récupérer en attedant la prochaine ascension.
D’ailleurs je ne regrette pas une seconde, car le chemin est tout simplement magnifique.
Certes différent de ce que j’aurais pu trouver en montant par les crêtes, mais je ne regrette pas une seconde mon choix.
Je marche paisiblement sur du plat en longeant “Le Guil” la rivière qui mène à Abriès, c’est vraiment une ambiance particulière, on se croirait au Canada.
Certes un peu monotone, mais le paysage et l’économie de douleur me mettent dans un état de plénitude indescriptible.
Je passe le petit village de Ristolas et j’arrive à Abriès après cette longue balade qu’on peut difficilement qualifier de randonnée.
Je viens de rejoindre le tracé que j’aurais dû prendre si j’avais choisi l’option difficile.
Je prends un café allongé au premier bar que je croise et je prends la direction de la première ascension de la journée.
Après l’échauffement on passe aux choses sérieuses.
C’est pas moins de 1300 mètres de dénivelés qui m’attendent, avec des passages à 20-25% de pourcentage de côte sur la fin.
Malgré ces chiffres, la montée se passe super bien, le rythme est bon, le moral est là.
Forcément, les montées ne me font pas mal, ce sont les descentes qui me lasserrent.
Surtout que le spectacle arrivée au col est magnifique, c’est le point emblématique de ce Tour du Queyras : Le Lac du grand Laus
Le problème, qui est souvent une délivrance d’ailleurs, c’est qu’en montagne quand on monte, on finit par redescendre.
Ça n’a pas loupé, j’ai le droit à une longue descente pour me retrouver tout au fond de la vallée.
D’ailleurs le village porte bien son nom “Fond de cervière”. On à l’impression d’être au bout du monde et je m’étonne même qu’une route puisse desservir cet endroit.
J’y arrive complètement lessivé et abattu par la descente que je viens de vivre, je boite en marchant et je commence sérieusement à me demander si je vais réussir à terminer cette aventure.
Mais je réfléchirais à tout ça plus tard, car je ne suis malheureusement pas encore arrivée à destination pour cette deuxième journée.
J’avale la moitié d’un saucisson avec du pain dans le gite du village, ayant dépassé l’horaire du service, ils n’ont plus que ça à me proposer.
Puis je repars pour une énième… Montée, col, descente.
Le tarif classique d’une étape du GR58.
Comme d’habitude, la montée se passera bien…. mais alors la descente.
Déjà que j’ai du mal à supporter les descentes “normales”, cette dernière étape s’achève sur une descente à pic en lacet, jusqu’au gite.
En arrivant c’est la délivrance, non seulement je suis content de pouvoir me reposer, mais le gite ne semble pas rempli et l’accueil est au top.
Ça se confirmera tout au long de la soirée.
En dégustant un repas délicieux (vraiment), je regarde du coin de l’oeil des alternatives pour écourter ma dernière journée, quitte à sortir du GR.
C’est là que je me rends compte qu’il y a une étape du GR5 entre Souliers (Ou je dors) et Ceillac (Ou je dois me finir mon périple).
20km et 1100d+ pour le “raccourcis” en prenant le GR5, contre 36km et 2500d+ en prenant le GR58.
Comme la veille, je me dis que j’aviserais au réveil, mais je me mens à moi même car je sais pertinnement que mon choix est déjà fait.
Jour 3 : (GR5) De Souliers à Ceillac
Sans suprise, je me réveille avec des douleurs atroces aux deux jambes.
J’avale un petit déj en me levant une fois de plus avant tout le monde et je prends la décision d’abréger mes souffrances en prenant la version courte.
Honnêtement, s’il y avait eu une navette qui me ramenait à destination, j’aurais pu monter dedans.
Surtout que la journée commence avec une énorme descente. Je me fais doubler par des randonneurs qui portent 15kg sur le dos tellement je n’avance pas.
Alors que je suis en sac de trail et censé être rapide pour faire plus de distance sur une journée.
Je suis complètement inutile.
Il faut savoir que le GR5 est un sentier de randonnée qui traverse toutes les alpes et qui fait 2200km, donc la population sur ce tracée change complètement.
On est vraiment sur des randonneurs “au long cours”… et j’adore cette ambiance.
Je voyage encore un peu plus à travers l’imaginaire de ce tracé mythique, surtout que j’ai le temps de réflechir vu l’allure à laquelle je vais.
Je me vois en train de randonner pendant 3 mois à mon tour, pour un jour peut-être réaliser ce genre d’aventure.
Malgré ces beaux voyages intérieurs, cette dernière journée sera un véritable calvaire.
Je vais passer le col fromage avec énormément de difficulté, malgré la beauté des paysages.
J’arrive enfin à Ceillac après une descente interminable.
Forcément, une montée, un col, une descente.
Je ressens malgré tout un sentiment de fierté, car quelques années auparavant j’aurais sûrement été miné par ces blessures et j’aurais largement envisagé d’abandonner.
Mais avec l’âge et certainement un peu de sagesse, j’ai persevéré en gardant un moral plutôt positif, malgré l’adversité.
C’est ce que j’aime dans ce genre d’aventure, le fait de sortir de sa zone de confort et de se confronter à des choses plus “dures” que celles qu’on doit gérer au quotidien, en tout cas physiquement.
Conclusion
Je fais deux conclusions de ce séjour.
La première conclusion est sportive, il ne faut pas se lancer dans un défi hors du commun, quand on vient de passer un mois à siroter des jus de fruit sur la plage sans quasiment faire de sport.
La deuxième conclusion est plus philosophique, se couper du monde quelques jours sans réseau est vraiment vital.
Loin de moi l’idée de donner des leçons, mais on devrait tous le faire au moins une fois dans l’année.
Souvent on revient complètement changé de ce genre d’expérience.
Si en plus on arrive à surfer un peu sur cette vague à notre retour, il pourrait ensuite nous arriver de faire les bons choix pour notre vie future.